Vous pensez qu'un groupe qui affiche plus d'une quinzaine de disques studio à sa feuille de route n'a pas plus grand chose à dire? Eh bien détrompez-vous! Avec «Valkyrie» Steve Babb et Fred Schendel rebrassent les cartes et proposent un disque qui, tout en étant dans le spectre des précédentes productions, propose tout de même de nouvelles avenues. Un album qui démontre que le tandem est loin d'avoir tout dit! Les deux musiciens nous parlent avec enthousiasme de «Valkyrie» qui se révèle être un des meilleurs essais du groupe depuis de nombreuses années.
T.I.: Pour quelques albums, je pense notamment à «Culture of Ascent» ou «The Inconsolable Secret», le concept de l'album est né suite à la lecture d'un livre. Est-ce que c'est le cas pour «Valkyrie»?
Steve: Non pas cette fois. En vérité au début nous avons commencé à travailler sur une histoire extraite de «The Inconsolable Secret» mais l'idée était trop vaste pour convenir à la durée d'un album régulier. Le printemps dernier j'ai recommencé l'écriture avec l'histoire d'un soldat et de son amoureuse et j'ai complètement réécrit les paroles. On y retrouve des idées que mon épouse m'a suggérées après avoir visionné un film récent. Ce qui m'a donné une idée de la façon dont je pourrais conclure l'histoire. Sinon «Valkyrie» est un concept original.
T.I.: Pouvez-vous nous résumer l'histoire de «Valkyrie»?
Steve: L'histoire de «Valkyrie» peut se transposer dans n'importe quelle guerre de n'importe quelle période. Ou alors pour toute expérience traumatisante vécue par une personne qui «part en guerre» contre le mal sous toutes ses formes. Ce n'est certainement pas relié spécifiquement à la première guerre mondiale comme la pochette du disque ou certaines paroles peuvent le suggérer. Il y a toujours un côté symbolique à mes paroles et à mes scénarios. Dans ce cas-ci c'est vraiment simple. Un jeune homme devient soldat et s'en va au loin pour combattre dans le cadre d'une juste guerre. Il laisse derrière lui une femme qui l'aime. Il vit les horreurs de la guerre et il ne peut pas s'enlever ces images de sa tête. Un syndrome de stress post-traumatique s'en suit. Il s'enlise dans une dépression et il s'isole. Il aimerait aller au-delà de la souffrance et du chagrin mais il n'est pas en mesure de le faire. Toutes ses tentatives échouent. Il a besoin d'aide. Ce dont il a besoin c'est la femme qu'il a laissée derrière lui. C'est là que se trouve la réponse. C'est l'idée de base. Les choses vont plus profondément si vous attachez de l'importance au symbolisme spirituel des paroles.
T.I.: Est-ce que c'est plus facile pour vous d'écrire pour un disque concept que ça peut l'être pour un disque régulier?
Steve: Ça l'était cette fois-ci! J'aime à travailler sur des grandes idées comme «Valkyrie». C'est un défi mais j'aime raconter des histoires en utilisant comme média des paroles de chanson et l'album concept est le parfait véhicule pour cela. Musicalement cela peut être très difficile mais c'est très gratifiant lorsque ça fonctionne comme tu l'as planifié. J'aime mieux m'asseoir et écouter un album concept bien fignolé de Glass Hammer que d'écouter un disque pour lequel nous n'avons enregistré qu'une collection de chansons sans liens entre elles. Je pense que c'est vrai aussi pour nos fans.
T.I.: Le thème de «Valkyrie» peut-il être relié à la situation actuelle dans le monde suite aux récents attentats terroristes en Europe?
Steve: Nous vivons actuellement dans un monde insensé ou, à tout le moins, c'est de cette façon que je le perçois. Que ce soit de la façon dont les gens «normaux» se traitent l’un l'autre sur une base quotidienne ou alors de la façon que nos politiciens manipulent les masses. C'est de la pure méchanceté et les gens sont minés par le stress que tout cela engendre. Ajoutez à cela le mouvement terroriste le plus barbare de l'histoire moderne et vous obtenez un monde complètement dérangé. Nous avons eu une attaque terroriste à un demi mille de ma maison et des studios où Glass Hammer enregistre. (n.d.l.r. un tireur a tué cinq personnes dans un centre de réservistes de l'armée américaine à Chattanooga avant d'être abattu). Nous n'avons été touchés d'aucune façon mais en 2015 la guerre s'est manifestée à notre porte. Le mal est le mal. C'est blanc ou noir pour moi. Sans nuance de gris. Le monde souffre de cette situation tout comme les individus. Nos soldats et les citoyens doivent faire face à des choses que personne d'entre nous n'avait planifiées. Ceux qui passent par le pire ne sont plus jamais les mêmes. «Valkyrie» a été écrit pour les survivants des horreurs et des trauma ainsi que pour ceux qui sont à leur côté pour les aider au lendemain des événements.
T.I.: Pour «Valkyrie» on retrouve des moments plus tranchants comme par exemple pour «No Man Lands» avec un chant presque gothique et une guitare qui sonne post-rock ou alors pour les «riffs» de guitare de «Fog of War». Est-ce que ces additions à la palette sonore de Glass Hammer vous satisfont pleinement?
Fred: Absolument. Depuis des années nous discutons de la possibilité d'avoir des moments appuyés par des «riffs» punchés mais nous avions seulement besoin d'un contexte pour pouvoir les inclure. Steve et moi sommes des fans de Black Sabbath depuis des décennies et nous apprécions tous deux le «Stoner Rock», un sous-genre qui découle du son qu'avait Black Sabbath à ses débuts. L'influence post-rock est toute aussi intentionnelle. En fait j'ai acheté un logiciel d'échantillonnages de batterie post-rock et nous en avons utilisé pour composer certaines musiques et essayer d'émuler ce son. Par la suite nous avons décidé de retenir ces parties pour l'album et de remplacer les échantillonnages par la batterie d’Aaron. Si vous écoutez attentivement l'introduction de «No Man's Land» vous pouvez entendre l'écho distortionnée de la caisse claire qui provient de notre maquette originale. C'est ce qui explique en partie pourquoi nous avons enregistré dans un vaste local pour obtenir ce son. C'est de là que proviennent ces idées.
T.I.: À l'écoute de «Valkyrie» on sent que vous avez privilégié une approche plus directe. Est-ce que le fait que le groupe a présenté plus de concerts ces dernières années y est pour quelque chose?
Fred: Et bien je pense que l'idée vient certainement du fait que nous présentons plus de concerts. Et encore une fois c'est quelque chose dont nous parlons depuis des années mais nous étions toujours pressés par le temps et nous ne pouvions jamais y donner suite. Cette fois nous avons simplement décidé que rien n’allait nous empêcher de le faire et ça clairement été une importante décision. Avant de les enregistrer nous avons répété et travaillé les pièces comme si nous étions pour les présenter sur scène. Cette approche ne résulte pas uniquement de la présentation d'un plus grand nombre de concerts mais aussi du fait que nous avons mené beaucoup de répétitions. Et ce des mois avant l'enregistrement. Ça sera plus facile de présenter plus de concerts pour promouvoir cet album parce qu'à la base nous savons comment les jouer «live».
T.I.: J'apprécie beaucoup «Nexus Girl», la pièce de «Valkyrie» qui à mon avis est celle qui s'éloigne le plus des sonorités du Glass Hammer classique. Cette pièce instrumentale me rappelle un peu Massive Attack!
Fred: Merci! Encore une fois ça vient du fait que nous n'avons pas écarté cette pièce parce que, dans le passé, nous aurions trouvé qu'elle était trop champ gauche. Je pense que l'idée de base de «Nexus Girl» vient de Kamran Alan qui s'est amusé à jouer ce que nous appelions le thème principal de l'album sur un rythme rapide de batterie électronique que j'étais en train de tester. En farce nous l'avons appelé pendant des mois la section «Kid A» avant de lui trouver un titre. Mais je pense que j'aime mieux la référence à Massive Attack que la comparaison avec Radiohead!
T.I.: Parlant d'atmosphères on sent que vous y avez attaché une importance particulière en privilégiant la cohabitation d'atmosphères différentes au sein de la même pièce. «Dead and Gone» en est un bon exemple. La pièce s'amorce comme une ballade et elle se transforme tranquillement lorsque Kamran Alan y ajoute une belle envolée tout comme toi d'ailleurs avec cette intervention «à la Emerson».
Fred: Bien, c'est certainement quelque chose d'agréable à entendre parce que, encore une fois, nous espérions pour cet album être en mesure de faire un meilleur travail sur les contrastes que ce à quoi nous étions parvenus à réaliser dans le passé. Allier ensemble le lourd et le doux dans une même pièce. Je suis bien conscient de donner un peu trop dans le style d'orgue «à la Emerson». Je ne veux pas que cela devienne un cliché mais je ne pouvais vraiment pas m'empêcher de le faire parce que c'était une occasion où ça convenait tout à fait.
T.I. J'ai l'impression que pour ce disque vous avez porté une attention spéciale aux sonorités de claviers? Est-ce que je suis dans l'erreur?
Fred: Non tu as pas mal raison. J'ai essayé d'utiliser un nombre limité de claviers et à en tirer le plus que je le pouvais. En cette époque où la palette sonore est très vaste grâce aux ordinateurs il y a beaucoup trop de choix. C'est effarant. D'une certaine façon mon idée initiale a échoué lamentablement. Je voulais essayer de faire ce que nous faisions il y a bien des années en travaillant comme si je n'avais que quatre claviers à ma disposition. À la fin cependant je me suis retrouvé avec de nombreux modules différents. Tellement que cela aurait pris un puissant ordinateur pour tout reproduire en concert. Mais une bonne partie de l'album est basé sur l'orgue, le piano électrique et quelques sons «string synth» vintage. J'ai essayé de me concentrer sur les changements de son en utilisant avec précaution les effets et les processeurs et pas seulement de passer à un nouveau son à chaque fois. Une des sonorités que j'aime vraiment est celle d'un orgue Farfisa traitée avec des effets pour guitare. C'est une référence très directe au Pink Floyd des débuts. En fait je pense qu'il y a sur ce disque plusieurs références au son de la musique psychédélique et ce même si la musique elle n'est pas psychédélique.
T.I.: Il y a quelques changements sur le plan vocal. Ni Carl Groves ni Jon Davison ont contribués à «Valkyrie». C'est Susie Bogdanowicz qui occupe l'espace alors que toi et Fred vous assurez certaines parties. Est-ce que je me trompe ou c'est le premier disque sur lequel Susie est si présente?
Steve: Eh bien Susie chante probablement autant ou peut être même plus sur «Three Cheers For The Broken-Hearted». Ça toujours été notre intention de composer un disque plus progressif que «Three Cheers...» et de l'avoir comme chanteuse. «Valkyrie a été l'opportunité parfaite. J'ai composé les couplets et les «chorus» de «Dead and Gone» expressément pour qu'elle les chante et nous avons aussi spécifiquement conçu «Eucatastrophe» pour elle. Pour le reste nous pouvions plus ou moins choisir qui de Susan, Fred ou moi allait chanter. Une fois que nous le savions elle était en mesure de se joindre à nous. L'objectif était simple: la faire chanter le plus souvent
T.I.: C'est la première fois depuis «On To Evermore» que vous vous impliquez de cette façon pour le chant. Est-ce que vous prévoyez être plus présents pour les prochains disques?
Steve: Puisque Carl n'était pas disponible pour les séances nous étions ouverts à l'idée d'auditionner d'autres chanteurs. Mais nous demandions une telle implication dans les répétitions et dans l'apprentissage des pièces que peu de chanteurs de notre région étaient partants à s'engager de cette façon. Fred et moi étions partants. Dans le futur nous allons probablement chanter plus. Notre principale préoccupation c'est que nous préférons ne pas chanter sur scène pour nous concentrer sur ce que nous avons à jouer. Personnellement je préfère avoir un chanteur avec nous lors de nos concerts pour couvrir nos parties.
T.I.: Est-il possible que dans le futur Carl ou Jon contribuent à des albums?
Steve: Tout est possible. «Valkyrie» nécessitait une grande implication pour les répétitions tout comme d'ailleurs lors des séances intensives de réécriture. J'aimerais appliquer la même méthode de travail pour les futurs albums de Glass Hammer. De nos jours il y a trop de groupes qui montent des albums par le biais d'Internet. Nous en avons réalisé quelques-uns dans le passé et cela semblait fonctionner. Pour aller plus loin nous voulons que les albums soient faits par les membres du groupe, qu'ils soient bien présents en studio et que leur présence compte! Nous avons toujours fait des changements en ce qui concerne notre façon de travailler. Nous nous adaptons aux situations telles qu'elles se présentent. Pour nous rien n'est coulé dans le ciment. Mais pour maintenant nous allons mettre tous les efforts possible pour faire un succès de «Valkyrie» et après voir ce que le futur nous réserve!
T.I.: La pochette de «Valkyrie» est très apocalyptique... mais on y distingue dans le fond une petite maison avec du gazon. J'imagine que c'est un symbole d'espoir?
Steve: C'est le symbole de la maison! Notre soldat veut s'échapper du champ de bataille et la vision de son foyer est la seule chose qui le tient en vie. Il «espère» son foyer. Donc d'une certaine façon j'imagine que c'est l'espoir. «Valkyrie» est un disque d'espoir et ce malgré le sujet. Cette idée fait surface dans le dernier tiers du disque. À tout le moins je «l'espère»!