Après avoir fait une entrée remarquée sur la scène progressive en 2008 avec son album «The Fruit Fallen», Edensong s'est produit avec succès dans le cadre de quelques festivals. Mais par la suite la formation New Yorkaise s'est faite plutôt discrète. L'attente en aura valu la peine puisque James Byron Schoen (guitare, chant), Stefan Paolini (claviers), TD Towers (basse), Barry Seroff (flûte) et Tony Waldman (batterie) reviennent à la charge avec un nouvel album qui nous livre un groupe plus mature en terme d'exécution et d'écriture. Le claviériste Stefan Paolini nous raconte dans quelles circonstances Edensong a accouché de son album «The Years in the Garden of Years» que le groupe présentera sur scène lors de son passage dans le cadre de la 13e édition du festival Terra Incognita en mai prochain.
T.I.: Edensong a lancé son premier album «The Fruit Fallen» en 2008 et un E.P. «Echoes of Edensong» en 2010 qui comptait notamment une pièce enregistrée lors de la sixième édition du festival Terra Incognita en 2010. Qu'est-ce que le groupe a fait suite à sa participation au festival?
Stephan Paolini : Mis à part la réalisation d'un vidéoclip pour la pièce «Beneath the Tide» nous avons plus ou moins travaillé exclusivement sur notre disque.
T.I.: Six années se sont écoulées entre la parution du EP et le lancement de «Years...» . Pour quelles raisons le processus a été aussi long?
S.P.: Il y a quelques raisons qui expliquent pourquoi ça nous a pris autant de temps pour lancer notre second album. Croyez-le ou non mais les origines de la conception de cet album remontent à 2008 alors que James avait un groupe... sans aucun membre et qu'il m'a demandé de se joindre à lui. Nous avons finalisé la formation en environ un an. James nous est arrivé avec l'idée de composer un album sur le temps et les multiples façons de concevoir et de percevoir son passage. Mais, peu après, nous avons reçu une invitation pour jouer au festival 3RP à Pittsburgh en 2009. Nous avons dû mettre le projet sur la glace pour préparer le spectacle. Après cela, pendant quelques années, nous avons voulu faire le focus sur le groupe pour qu'il devienne un véritable groupe de scène et que l'on puisse accepter les invitations à jouer que nous recevions d'un peu partout aux États-Unis et au Canada. Ce travail nous a sérieusement empêché de développer cet album. Au cours des cinq ou six dernières années pendant lesquelles nous avons travaillé sur ce disque et surtout durant les 3 ou 4 dernières les membres du groupe ont vécu deux divorces et quatre mariages tout comme une trâlée d'événements positifs et négatifs qui ont retardé les choses. Mais je pense que la véritable raison derrière cette longue période d'attente se retrouve dans notre volonté d'atteindre la perfection. Ah ah,.. Le jardin d'Éden tel que décrit dans la fable était paradisiaque. Un endroit où les humains et Dieu pouvaient marcher côté à côte pour l'éternité. Puisque nous vivons dans un monde où toutes les choses semblent destinées à une fin ça été un sincère effort collectif de créer quelque chose que nous ne pourrions pas améliorer par la suite. Et évidemment nous n'y sommes pas parvenus car toute chose peut être améliorée. Par définition la perfection est impossible lorsque l'on parle d'art. Je me rappelle notamment qu'à une occasion James et moi avons argumenté pendant une heure et demie au sujet de quelques notes! Et ce style de discussion arrivait assez fréquemment. À un moment donné certains d'entre nous étaient pris dans d'interminables débats au sujet d'infimes détails. C'est probablement la principale raison pour expliquer cette longue période.
T.I.: Quelle est la signification du titre «Years in the Garden of Years»?
S.P.: Je ne peux pas parler objectivement de sa signification. J'aimerais encourager tous les auditeurs à lire les paroles, à les étudier et à écouter le disque encore et encore pour qu'ils arrivent à leur propre histoire à partir de la signification que prendront les mots pour eux. C'est un disque qui traite du temps. Et c'est probablement la seule chose qui peut être vraiment dite et qui est présente dans la vie de tous les êtres humains à avoir vécu ou qui vivront dans le futur. Ce n'est pas tout le monde qui fait l'expérience dans sa vie de quelque chose de basique et d'omniprésent comme l'amour. Mais chacuns d'entre nous sommes liés à la chaîne temporelle et par conséquent temporaire de l'existence. Pour moi il y a un grand contraste entre «The Garden of Years» et le jardin d'Éden qui peut être lié à l'éternité dans le livre de la Genèse.
L'ignorance béate et éternelle est ce que Dieu a planifié pour l'Humanité dans son ultime paradis. Mais notre liberté de choix nous a permis de manger le fruit de la connaissance du bien et du mal et d'en être chassé pour vivre des vies temporaires. Nous sommes liés à l'élément qui caractérise l'ensemble de l'album: le temps. Je crois que «Years in the Garden of Years» porte sur les années que nous passons en contrepoint avec l'éternel jardin d'Éden. Ce que nous avons nommé le «jardin des années». C'est un album qui traite de la mort. Chaque moment qui passe dans notre vie est en lui-même une sorte de mort. C'est un moment que l'on ne peut plus récupérer et qui ne peut seulement vivre que comme un écho dans nos mémoires. Mais ça ne porte pas seulement sur cette sombre et lugubre concrétisation au sujet de la nature de la réalité. Le caractère éphémère de tous les phénomènes est simultanément ce qui nous permet de nous élever dans la souffrance mais aussi de donner une signification à notre existence. Que pouvons-nous faire lors de cette incarnation temporaire? L'horloge fait tic-tac! J'aimerais encore dire que la signification de la phrase «Years in the Garden of Years» est une des raisons pour laquelle ça nous a pris autant de temps à réaliser ce disque. Nous faisions constamment le focus sur le côté éphémère des choses et on s'est efforcé au meilleur de nos capacités à réaliser quelque chose de «parfait». Ce qui à quelque part peut exister en dehors des confins du concept que le disque tente d'explorer. Évidemment nous avons échoué dans notre tentative de créer quelque chose de parfait mais je pense qu'au final nous avons créé quelque chose d'exquis.
T.I.: Est-ce que l'on peut dire que «Years in the Garden of Years» est en quelque sorte la suite logique de «The Fruit Fallen»?
S.P.: D'une certaine façon on peut dire cela. Dans le sens que pour un artiste chaque parution est une suite logique car elle est représentative de son développement en tant qu'être humain. Mais il y a ici une adhésion à des références bibliques qui, évidemment, ne sont pas accidentelles. Pour moi le nom Edensong évoque non seulement quelque chose aux proportions épiques, c'est difficile d'être plus épique que la Bible, mais aussi les origines de l'humanité. Selon l'histoire de la création du monde par Abraham c'est là que tout commence. Et c'est exactement ce qu'en bout de ligne propose une création artistique: des débuts. Et chaque artiste est à l'origine de son propre art, un jardin d'Éden dans lequel la beauté peut voir le jour et se développer. Donc considérant les thèmes bibliques vous pouvez dire que nous sommes sortis du jardin d'Éden lorsque le fruit originel a été cueilli dans l'arbre et qu'il a été transporté dans le jardin des années... Une métaphore qui se réfère à la Bible mais qui n'en est pas explicitement extrait
T.I.: Si vous comparez votre nouveau cd et «The Fruit Fallen» quelle serait selon vous la différence la plus significative entre ces deux disques?
La principale différence entre «The Fruit Fallen» et «Years in the Garden of Years» est sans l'ombre d'un doute les gens qui les ont enregistrés. TFF a été composé exclusivement par James avec la contribution ici et là de quelques personnes. Chaque chanson a été écrite, arrangée, enregistrée et réalisée par James. Heureusement pour nous en collaborant ensemble nous avons créé une musique qui est beaucoup plus que la somme de ses parties. Pour moi c'est un processus créatif intuitif que de travailler de cette façon avec les autres. J'aime à travailler en ayant une direction et résoudre des problèmes. Par exemple, disons qu'une section de musique pourrait profiter d'un ajout de textures. Les claviers me permettent un nombre sans précédent d'options à explorer pour résoudre le problème. Que ce soit quelque chose de luxuriant en arrière-plan, une contre-mélodie ou quelque chose de plus flamboyant et empreint de virtuosité, l'instrument me donne l'opportunité de réaliser exactement ce que j’ai (ou nous avons) besoin.
Je pense que je peux parler pour les cinq lorsque je dis que chacun d'entre nous possède des compétences et des aptitudes bien spécifiques. Par exemple Barry est un arrangeur et un compositeur phénoménal qui possède une formation classique et Tony est l'auteur des mélodies les plus accrocheuses. Cette synergie ainsi que le fait que nous sommes tous plus vieux qu'au moment de réaliser et de présenter sur scène «The Fruit Fallen» font que nous avons je pense réalisé une œuvre infiniment supérieure. Avec «The Years...» nous avons adopté une approche complètement démocratique en ce qui a trait à la composition. Il y a des chansons qui sont composées par nous cinq et nous avons tous contribué à de grandes sections en terme d'arrangements, de mélodies, d'harmonies ainsi que pour les structures en général. Donc je dirais que la plus grande différence c'est que «The Fruit Fallen» était la vision d'une personne en particulier alors que «Years...» est le résultat de la synergie de cinq personnes qui travaillent sur un projet collectif.
T.I.: Avez-vous l'impression que la scène progressive a bien changé depuis le lancement de «Echoes of Edensong»?
S.P.: Je dois avouer que, malgré le fait que je joue dans un groupe progressif… je n'écoute pas énormément de rock progressif! Je suis plus attiré par le rock classique et le jazz qu'autre chose. Pour moi progressif veut dire progresser tout comme jazz fusion signifie littéralement une fusion de styles. Lorsqu'un concept comme le «progrès» ou la «fusion» devient codifié il cesse de progresser ou de fusionner. J'espère que ma contribution à «Years in the Garden of Years» est progressive dans le sens de progrès et non pas seulement pas dans le sens de complexité impressionnante. Ce qui semble définir la musique progressive en tant que style.