C'est connu de tous Fabio Zuffanti est quelqu'un de bien occupé. Menant plusieurs projets de front il a pris la décision, suite à la réalisation de «La Crudeltà di Aprile» de Unreal City, de ne plus s'impliquer dans l'enregistrement de disques d'autres groupes. Pourtant une jeune formation, Il Paradiso degli Orchi, est parvenue à le convaincre de mener à bon port l'enregistrement de son second disque intitulé «Il Corponauta». Voilà de quoi susciter l'intérêt et la curiosité! Entrevue avec le guitariste Michele Sambrici qui nous visitera avec ses coéquipiers de Il Paradiso degli Orchi en mai prochain dans le cadre du festival Terra Incognita!
T.I.: Pouvez-vous nous parler des débuts du groupe?
M.S.: Le groupe a pris forme pendant l'été 2007 à Brescia, notre ville natale située au nord de l'Italie, alors qu'il y avait une véritable explosion de musique indépendante. Brescia était une des villes les plus importantes pour cette scène musicale et nous avons été inspirés par toute cette effervescence et cette ferveur. À l'époque nous étions considérés comme un groupe rock alternatif et psychédélique et nous aimions marier théâtre et musique parce que notre premier chanteur était aussi un acteur. Nos premières compositions étaient de longues improvisations et il était donc naturel pour nous d'y ajouter une dimension théâtrale. En 2010 le groupe était composé de Marco DeGiacomi à la batterie et au chant, de Andrea Corti à la basse, de Iran Fertonani aux percussions et de moi à la guitare et au chant. Nous avons évolué en composant des chansons plus complexes avec de multiples changements de temps ainsi que de longues sections instrumentales. Mais nous ne pensions pas à l'époque que nous étions un véritable groupe progressif. En 2012 le percussionniste Stefano Corti s'est joint au groupe. Suite à la parution de notre premier disque en 2011 le public de la scène alternative a commencé à nous coller l'étiquette de groupe progressif mais, pour être franc, ça ne représentait pas un avantage pour nous auprès de la scène «indie» italienne. De toute façon nous avons décidé de suivre cette voie parce que c'était une évolution naturelle pour notre style musical.
T.I.: À cette époque étiez-vous familiers avec la scène progressive italienne des années 70?
M.S.: Nous étions familiers avec cette scène. Tout spécialement Marco et Andrea qui sont de grands connaisseurs. À nos débuts nous jouions en concert une version psychédélique de «Impressioni di Settembre» de P.F.M. Mais nous ne pensions pas devenir un groupe prog. Pour nous ça semblait un monde lointain réservé uniquement aux grands musiciens. Probablement parce qu'en Italie lorsque les gens parlent de prog c'est pour le lier aux glorieux musiciens du passé. La nouvelle génération est donc désavantagée et craintive. En ce qui concerne les années 90 nous n'en connaissions rien lorsque nous avons formé notre groupe. Nous étions totalement immergés dans le rock indie et dans les
réseaux sociaux il n'y avait que très peu de nouvelles de la scène progressive italienne. Nous avons découvert le progressif underground aux alentours de 2010 grâce à quelques animateurs et journalistes qui étaient au courant de ce qui se passait avec Black Widow Records, AMS Records, Mellow Records et tous les groupes qui leurs sont liés. Nous avons donc découvert un nouveau monde et nous avons commencé à appeler notre musique du nom de PROP(K) qui est l'union de progressif-rock-psychédélique-prog car à cette époque il était dangereux de prononcer le mot prog devant des gérants de salle! Mais aussi parce que nous n'étions pas un véritable groupe prog.
T.I.: Je présume que vous aviez tous une certaine expérience avant de monter Il Paradiso degli Orchi?
M.S.: Oui effectivement nous avions tous joué dans différents groupes. Claudio Gaffurini, notre premier chanteur était acteur, Jason Cancarini, notre premier bassiste chantait dans un groupe hommage à Pantera et il était aussi un bon rapper. DeGiacomi, Fertonani et moi venions tous du même groupe de rock’n'roll et je travaillais aussi en tant que musicien de session pour un projet de «black metal». Andrea Corti s'est joint au groupe parce qu'il avait joué avec DeGiacomi dans un groupe de hard rock. Le groupe a été formé durant l'été parce que nous n'avions pas de travail avec nos groupes respectifs. Nous n'avions pas vraiment de but en particulier. C'était simplement pour le plaisir. C'est rapidement devenu naturel pour nous de passer plusieurs heures à jouer des improvisations psychédéliques sans fin avec seulement quelques interventions vocales. À certaines occasions nous pouvions jouer pendant deux heures sans nous arrêter un seul instant. Je suis sérieux! Il y avait de la magie dans l'air et nous avons décidé de poursuivre. Nous avons travaillé dur pour donner une structure plus définitive à nos pièces et à composer des mélodies et des paroles intéressantes inspirées par de grands groupes comme Muse, The Vines, Flaming Lips, Radiohead, Wilco, The Shines, Porcupine Tree, Animal Collective... et aussi par des groupes italiens indie comme Il Teatro degli Orron, Marta sui Tubi, Pertubazione, Afterhours. Nous étions aussi impliqués sur la scène indie de Brescia. C'est pour cela qu'à nos débuts nous étions moins prog et heavy. Et puis, comme j'ai toujours été le principal architecte des textes et des mélodies, mon engouement à cette époque pour Julian Cope ainsi que pour le groupe Guillemots et son album «Through The Windowpane» n'est pas étranger à cette affiliation avec la scène indie!
T.I.: À la première écoute de «Il Corponauta» j'ai décelé quelques clins d'oeil aux années 60. Je pense notamment à The Doors. Est-ce une période musicale qui vous inspire?
M.S.: C'est amusant pour nous de découvrir toutes les influences que les gens trouvent en écoutant notre musique! Tu es le premier à citer The Doors. Mais pour être honnête je ne pense pas que les années 60 nous aient inspirés tant que cela. Évidemment nous sommes de grands fans de The Doors, Iron Butterfly, Pink Floyd, Jimi Hendrix, Cream et autres grands noms de ces années... Mais, chose certaine, Il Paradiso degli Orchi compose de la même façon qu'à cette époque. C'est-à-dire d'une manière collective et «tribale».
T.I.: Eh bien pour être plus précis je parle de la pièce «Pioggia» et des «riffs» de claviers que l'on peut entendre entre 1 minute 16 secondes et 2 minutes 5 secondes. :-)
M.S.: Nous avons composé la musique de Pioggia en studio alors que nous nous amusions à jouer, selon nous, une version psychédélique de «Enola Gay» de O.M.D. (n.d.l.r. Orchestral Manoeuvres in The Dark). C'était très amusant et aussi tellement intense et symphonique que nous avons décidé de l'enregistrer. Nous nous sommes perdus dans cette boucle car c'est un mantra génial. Nous pensons que dans les années 60 des groupes comme The Doors ou Iron Butterfly utilisaient cette façon de travailler, de se perdre dans de longues improvisations pour chercher quelque chose de «spirituel» avant de décider de la structure finale de la pièce. Ça explique en partie pourquoi vous avez décelé un lien avec les Doors. Il y a aussi les riffs de claviers que nous savons similaires à ceux que l'on peut entendre dans la chanson «Touch Me». Mais ce n'est pas voulu. Nous appelons cela un «emprunt». Sur le disque nous avons choisi de placer la version raccourcie de «Pioggia». Nous espérons que la version longue verra le jour lorsqu'une réédition de «Il Corponauta» sera réalisée avec des pièces bonus.
T.I: Comment se sont déroulées les sessions avec Fabio Zuffanti?
M.S.: Cela a été une fantastique expérience de travail. Fabio est un réalisateur attentif et très observateur qui travaille fort pour établir sa signature personnelle mais toujours en gardant un oeil sur les particularités du groupe. Lorsque nous avons décidé de produire «Il Corponauta» nous avons enregistré plus de trois heures de maquettes! Nous voulions donc une maison de disques et un réalisateur en mesure de gérer et de faire sérieusement le suivi de ce projet. Lorsque nous avons écrit à Fabio nous étions pas mal certains qu'il nous répondrait positivement. Et c'est exactement ce qu'il a fait. Il nous a proposé à AMS Records et nous étions très excités! Nous avons alors travaillé ensemble à écrémer le matériel, à trouver les bonnes sonorités et à améliorer les arrangements. Il nous a aussi suggéré d'ajouter de nouveaux instruments comme la flûte, les synthétiseurs, le mellotron... Il nous a également suggéré de nous trouver un nouveau chanteur pour me permettre de faire le focus sur la guitare et le synthétiseur. Nous avons donc de nouveaux amis dans le groupe: Andrea Calzoni à la flûte et au saxophone,Sven Jorgensen au chant et à la guitare et Paolo Tognazzi aux claviers. De bonnes et nouvelles amitiés sont nées. Nous espérons que cela va nous mener à établir de nouvelles collaborations et, pourquoi pas, quelques bon repas! Nous avons travaillé de façon très professionnelle parce que nous voulions le meilleur pour «Il Corponauta». Tout comme pour notre premier disque nous avons travaillé aux studios Altrefrequenze de Brescia avec Giorgio Reboldi. Les séances d'enregstrements ont été longues car nous enregistrions les pièces en différentes parties. Les guitares et les claviers en premier, puis la batterie et la basse et finalement la flûte, le mellotron, la voix et les percussions. Nous n'étions pas pressés car nous voulions que «Il Corponauta» soit parfait.
T.I.: Est-ce que vous étiez familiers avec la carrière de Fabio avant de le contacter?
M.S.: Nous avons découvert Fabio grâce à une chronique sur son projet «L'Ombra della sera» dans le magazine Rolling Stone (n.d.l.r. la version italienne). C'est un magnifique album! J'ai été impressionné et j'ai commencé à approfondir sa discographie. Lorsque quelques années plus tard nous nous sommes mis à la recherche d'une maison de disques et d'un réalisateur nous avons pensé à lui et nous étions certains qu'il répondrait positivement parce que son travail est une mariage d'influences qui nous rejoignent. Songez seulement aux disques «La foce del ladrone», «L'Ombra della sera» et «La quarta vittima». Ce sont de grands disques avec lesquels notre musique à énormément de points en commun. C'était écrit dans le ciel que Fabio deviendrait notre réalisateur!