Kinetic Element n'a peut-être que deux disques à son actif, «Powered by Light» (2009) et «Travelog» (2015), mais son claviériste Mike Visaggio est un vieux routier qui roule sa bosse depuis 1968! Ce dernier nous raconte les multiples péripéties qui ont entouré la naissance de cette formation originaire de la Virginie.
T.I.: Vous avez commencé votre carrière musicale à New York au sein de groupes d'interprétations. À cette époque étiez-vous déjà familier avec le rock progressif?
M.V.: Non c'était avant que je découvre le prog... et avant que le prog n'apparaisse. Nous sommes en 1968. Je suis dans un groupe qui ne fait seulement que jouer des succès pop. J'ai graduellement commencé à écouter ce qui jouait sur les stations FM. Des groupes comme The Doors, Procol Harum, Quicksilver Messenger Service, Iron Butterfly, The Chambers Brothers, Traffic... Je jouais aussi du blues. J'étais un grand fan de Al Kooper et de Steve Winwood. Il y a tellement longtemps maintenant...
T.I.: Alors de quelle façon avez-vous découvert le rock progressif? Quel a été le premier groupe prog que vous avez écouté?
M.V.: En 1971 les stations FM diffusaient Yes et je n'avais jamais entendu quelque chose comme cela. J'avais seulement 19 ans et j'étais complètement subjugué par la façon dont le groupe utilisait le Hammond et aussi par les arrangements, le son de la basse, le mixage, cette guitare inhabituelle. Bref par tout! Après cela un de mes amis m'a fait écouter King Crimson et un de mes cousins, Ed Gagliardi, qui était bassiste et qui sera plus tard membre de Foreigner, m'a fait découvrir The Strawbs et Gentle Giant. J'étais constamment à la recherche de nouvelles musiques et j'ai formé mon premier groupe progressif en 1971 qui avait pour nom Randori. Nous ne savions pas à l'époque que c'était prog bien que tout ce qui jouait à la radio FM à cette époque était considéré comme prog!
T.I.: À la fin des années 70 et au début des années 80 vous avez travaillé et enregistré avec le chanteur et compositeur Billy Falcon (N.D.L.R. sous la recommandation de Jon Bon Jovi, Billy Falcon a été mis sous contrat par la maison Mercury en 1990. Par la suite Falcon a coécrit plusieurs chansons de Bon Jovi dont «Mystery Train»). Une période formatrice à ne pas en douter. Quelle est la chose la plus importante que vous avez apprise durant cette période?
M.V.: J'ai appris à quel point la musique pouvait être une cruelle maîtresse lorsque tes aspirations ne sont pas comblées. Mais évidemment j'ai aussi été mordu par la passion d'enregistrer des disques. Depuis ce temps c'est tout ce que je veux faire. Le processus d'enregistrement des pistes est quelque chose que j'adore vraiment. Par la suite, malheureusement, au moment où j'aurais pu m'impliquer dans l'enregistrement parce que la technologie avait rendu le tout plus accessible à plus de musiciens je n'avais soit pas le temps ou alors pas les moyens d'investir pour me familiariser avec tout cela. Donc je dois encore me fier sur les autres pour mes enregistrements.
T.I.: Pourquoi avoir déménagé en Virginie? Ce n'est pas une plaque tournante dans le monde de la musique comme New York par exemple.
M.V.: Pour être honnête c'est avant tout pour une question financière. Je voulais acheter une maison pour ma famille et, avec mon salaire de chauffeur de limousine, je ne pouvais tout simplement pas le faire à Long Island ou dans la ville même. Mais nos visites aux parents de ma première épouse en Virginie m'ont fait réaliser qu'il y avait une façon d'avoir une maison moins coûteuse mais qui était aussi intéressante sinon plus que ce qu'on pouvait trouver à New York. Cette façon était simplement de déménager. J'ai donc déménagé avec ma famille en Virginie et j'ai donc pu acheter une maison près de celle des grands-parents maternels.
T.I.: C'est là que vous avez rejoint le groupe The Strokers.
M.V.: En ce qui concerne The Strokers c'était un groupe de rock and roll bien connu à Richmond et influencé par The Rolling Stones. Les musiciens étaient très actifs aux alentours de Richmond et Norfolk. J'ai auditionné pour le groupe en 2003 parce que les gars cherchaient quelqu'un pour leur donner un coup de main pour un disque. Ça cliqué entre nous et j'ai joué du bon vieux rock'n'roll avec eux pen dant une couple d'années. Au cours de l'année 2004 j'ai commencé à réaliser que c'était le temps pour moi de passer à autre chose. Lorsque les musiciens ont décidé de prendre une pause j'ai commencé à travailler sur un nouveau projet et je ne suis jamais retourné avec eux. Un an plus tard je commençais mon projet solo.
T.I.: Quelle a été l'étincelle, l'histoire derrière votre décision de vous lancer dans la conception de votre disque solo Starship Universe?
M.V.: J'espère que tu vas comprendre que c'est pour ainsi dire incroyable pour des gens qui ne croient pas en Dieu. J'ai eu une expérience que je ne peux nier. Après mon départ de The Strokers j'ai joint un groupe qui s'est rapidement séparé et cette dissolution m'a découragé. J'ai alors eu le réflexe de me plaindre avec force à Dieu. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi il m'avait donné ce talent et qu'en même temps je ne pouvais rien accomplir avec ce talent. J'ai crié quelque chose comme «Que diable veux-tu que je fasse?»... et j'ai eu une vision de la pochette de nom disque solo et j'ai su ce que je devais enregistrer à ce moment-là. Je crois que Dieu m'a montré quoi faire à ce moment-là. J'ai donc regardé au plafond et dis «D'accord je vais le faire». Et ce projet solo, qui est devenu par la suite Kinetic Element, venait de naître.
T.I.: Est-ce que ce disque est composé de pièces composées au fil des ans ou alors de nouvelles compositions?
MV.: «Starship Universe» réunit des pièces composées dans les années 70, une nouvelle composée pour ce disque ainsi qu'une couple d' interprétations que j'ai toujours voulu faire. Une d'entre elle est Blues Variation de Emerson,Lake & Palmer et l'autre est Also Sprach Zarathustra de Deodato.
T.I.: Pouvez-vous nous parler des débuts du groupe?
M.V.: J'enregistrais «Starship Universe» avec une batterie électronique mais je n'étais pas satisfait du résultat. J'ai alors décidé d'appeler Michael Murray avec qui j'avais joué dans le groupe qui s'était séparé juste avant que j'aie ma vision. Il est venu en studio et a enregistré trois pièces avec moi. J'étais en extase devant la façon dont il avait joué les pièces. Je lui ai demandé s'il était intéressé de monter un nouveau projet de matériel original. J'ai dû attendre neuf mois avant qu'il ne se décide à se lancer dans ce projet en 2006. Neuf ans plus tard nous travaillons encore ensemble au sein de K.E.! C'est lui qui a suggéré un bassiste du nom de Matt Harris et qui est demeuré deux ans avec nous. Kinetic Element était alors un trio qui jouait aux alentours de Richmond, de Washington DC, d'Atlantic City, New York... c'est étonnant le nombre de spectacles que nous avons présenté incluant des premières parties pour Circa, Rare Blend et IZZ. À la fin de 2008 Todd Russell a vu notre petite annonce de «recherche guitariste» . Il n'avait joué jamais dans un groupe progressif auparavant mais il a été impressionné par les pièces de «Starship Universe» ainsi que par le matériel de «Powered by Light» sur lequel nous étions en train de travailler. Il nous a complètement soufflé. Quel talent! Personne à Richmond ne joue comme cela! Bien que nous ayons des visions bien différentes de la vie, musicalement c'est le mariage parfait. Dans une ville où les guitaristes ne jouent que du blues ou du hard rock c'était surprenant de le voir sortir de nulle part avec ses évidentes influences de Howe et de Hackett. Il a complètement transformé le son du groupe.
T.I.: Effectivement j'imagine qu'il ne doit pas y avoir énormément de groupes progressifs en Virginie. Quelle est la situation dans cet État pour un groupe comme Kinetic Element?
Bien, je connais deux autres groupes prog à Richmond. Un est dans le style métal et a pour nom Ashes Reign alors que le second est plus dans la veine Floydienne et a pour nom Atom Eve Eclipse. Nous devons pour ainsi dire aller ailleurs pour jouer.Si nous voulions jouer la musique que l'on peut entendre sur les stations de radio de rock classique, des chansons que tout le monde a entendues des milliers de fois je pense bien que nous aurions plus de travail. Nous avons essayé mais ça n'a pas fonctionné. En fait nous avons dû nous séparer d'un très bon chanteur qui nous a laissé tombé parce que nous n'avions pas beaucoup d'activités. Nos meilleurs concerts ont été présentés dans le nord de la Virginie qui est plus cosmopolite ainsi que dans les alentours de Baltimore où il y a une certaine scène progressive. Nous avons aussi joué deux fois dans le cadre du pré spectacle du festival Prog Day de Chapel Hill en Caroline du Nord. Nous avons assuré la première partie de Morglbl ici tout juste avant d'enregistrer «Power By Light». C'était dans une belle salle mais il n'y a pas eu assez de monde pour que l'on puisse y retourner jouer. En Virginie un groupe progressif est pour ainsi dire condamné à regarder ailleurs pour jouer.
T.I.: Parlez-nous de la conception et de l'enregistrement de «Powered by Light», le premier disque de Kinetic Element.
M.V.: Nous avons été chanceux qu'un ami de longue date nous offre de payer les séances d'enregistrement de «Powered by Light» dans le studio Sound of Music de Richmond. Le concept du disque était une réponse à ma vision, c'est-à-dire que c'est une chose merveilleuse de comprendre ce que cela signifie d'être un enfant de Dieu. Quelques personnes pourraient penser que c'est trop chrétien mais sincèrement le disque ne pourrait jamais jouer sur les ondes d'une station de radio chrétienne parce qu'ils ne veulent rien avoir à faire avec le prog. Je n'avais pas planifié de faire un disque chrétien... mais je pense que j'ai écrit sur ce que j'ai vécu. Les paroles sont inspirées par la première épître de Jean dans la Bible. Nous avons eu un bon technicien de son, John Morand, qui a réalisé et mixé. Et puis nous avons eu une bonne dose «du bon vieux temps» en travaillant dans un studio professionnel. C'était génial d'entendre les choses prendre forme. J'ai pu utiliser un vrai B-3, un mellotron ainsi que de vraies timbales pour la batterie. Et nous avons eu beaucoup de discussions philosophiques tout au long des séances.
T.I.: Vous avez enregistré «Travelog», le second disque de Kinetic Element, environ 5 ans après le premier essai. Quelle était la situation du groupe entre 2008 et 2015?
M.V.: Ça été les montagnes russes pour promouvoir «Powered by Light» suite à son lancement. Nous avons perdu notre bassiste à un mois un concert que nous devions présenter au studio Orion de Baltimore en 2009. Cela nous a pris beaucoup de temps pour retomber sur nos deux pieds. Finalement nous avons joué en trio. J'assumais la basse sur mon clavier avec ma main gauche. C'est avec cette formation que nous avons joué le reste de l'année en interprétant des pièces de groupes classiques comme Jethro Tull, Allman Brothers, Blind Faith, Cream, Rush... tout en jouant nos compositions. Et c'est aussi moi qui chantait. En décembre 2010 nous avons décroché un concert au studio Orion et c'est probablement notre meilleur concert de matériel original. Au début de 2011 nous avons trouvé un chanteur qui était tellement bon que nous avons accepté d'oeuvrer sur deux fronts. C'était comme deux groupes avec les mêmes musiciens. ll voulait jouer des interprétations dans les bars et il était aussi prêt à chanter notre matériel dans d'autres circonstances. Cette association a duré deux ans mais nous avions tellement de frustrations que nous nous sommes séparés de lui en août 2013. Le bassiste a quitté par la suite. Rendu là Todd et moi en sommes venus à un arrangement : celui de revenir à l'idée de base du groupe. C'est-à-dire de créer de nouvelles pièces progressives. Cela nous a pris de la fin 2013 au printemps 2015 pour compléter «Travelog». Au cours de cette période Mark Tupko s'est joint au groupe. Ce qui a été un merveilleux ajout au groupe car mieux que quiconque avec qui nous avons travaillé dans le passé, il comprend très bien le rôle d'un bassiste au sein d'un groupe de prog.
T.I.: Pour vous quelle est la différence la plus notable entre «Powered By Light» et «Travelog»?
M.V.: Évidemment la production de Travelog est tellement meilleure. Mais le matériel aussi. Et puis, pour me remplacer, nous avons trois chanteurs phénoménaux . Et, aussi important, Travelog est vraiment le résultat d'un travail de groupe plutôt qu'un simple véhicule pour mes propres idées.
T.I.: En studio Kinetic Element est un groupe de quatre musiciens appuyé par des chanteurs invités. Ce ne doit pas être facile de présenter des concerts dans ces conditions. Pensez-vous travailler un jour avec un seul chanteur?
M.V: Nous pensions que Dimetrius LaFavors de Odin's Court était pour être notre chanteur permanent tout en continuant à chanter avec ce groupe. Mais les gars de Odin's Court ont changé leur façon de travailler et Dimetrius a constaté qu'il ne pouvait pas terminer le projet. Nous avons été assez chanceux de trouver Michelle Schrotz du groupe Brave ainsi que Mike Florio pour chanter les deux autres pièces. Et oui cela pose problème pour les concerts parce que ces chanteurs ne vivent pas à Richmond. Nous ne pouvons pas faire grand chose pour organiser des concerts. Ils ont tous accepté de participer à tout concert d'importance présenté dans l'est des États-Unis et nous souhaitons qu'un d'entre eux se joigne définitivement à nous. Pour le moment nous avons approché un chanteur de Richmond. En ce qui concerne le concert de mai prochain à Québec pour Terra Incognita nous avons un engagement de la part de Mike Florio. En mai et juin dernier lui et Michelle ont chanté avec nous lors de nos concerts au New Jersey Proghouse et au studios Orion.
T.I.: Pour le mixage et le «mastering» de «Travelog» vous avez travaillé avec une belle équipe. C'est-à-dire Fred Schendel et Steve Babb de Glass Hammer. Parlez-nous un peu de cette association.
M.V.: Ça été un développement étonnant. J'avais fait savoir sur Facebook que nous voulions engager un ingénieur du son pour assurer le mixage du disque. Comme tu le sais énormément de groupes prog assurent leurs propres séances d'enregistrements. Je savais donc que nous allions trouver quelqu'un. J'ai correspondu avec Billy Sherwood et Brett Kull d'Echolyn pour vérifier s'ils pouvaient le faire tout comme d'ailleurs avec Matt Brookins de Odin'S Court. Nous avions un penchant pour Brett mais il n'était pas tellement impressionné par nous. J'étais sur le point de contacter de nouveau Billy lorsque, à notre grande surprise, Fred et Steve nous ont approché pour faire le mixage. Ces gars sont le coeur créatif et l'âme de Glass Hammer et on a découvert qu'ils nous suivaient depuis plusieurs années. Ce qui m'a complètement soufflé! Sachant comment sonnent les disques de Glass Hammer nous étions vraiment excités face à cette perspective et nous avons rapidement monté pour eux un démo de mix d'une de nos pièces pour leur donner une idée du matériel sur lequel ils devraient travailler. C'était incroyable. Nous avons immédiatement accepté. Ça été un grand plaisir de travailler avec eux et de les connaître un peu. On ne s'est cependant pas rendus à leur studio Sound Resources de Chattanooga. Le travail s'est effectué par transfert de fichiers. Ils étaient très professionnels et compréhensifs. Pour moi c'était presque une réponse à mes prières. Nous pensons avoir réalisé un bon disque de rock progressif avec «Travelog» et les chroniques sont très encourageantes. Jouer dans le cadre du festival Terra Incognita était pour nous la prochaine étape et nous sommes vraiment très heureux d'avoir la chance d'y participer en mai 2016!