Obsédé par «Atem» publié en 1973, le célèbre DJ John Peel ne cesse de passer cette œuvre cosmique à son émission radio de la BBC. Conséquence directe de cet enthousiasme le patron de Virgin Record, Richard Branson (à qui l'on doit «Tubular Bells» de Mike Oldfield) propose à Tangerine Dream de se joindre à l'écurie Virgin. Une belle occasion pour le trio germanique de se faire connaître au plan international.
Au même moment Edgar Froese et Chris Franke travaillent en tandem pendant que Peter Baumann se balade à l’étranger. Ils composent «Green Desert» une bonne suite à «Atem» qui devait être le cinquième opus du «rêve mandarine». Fasciné, Richard Branson ce passionné de musique avant-gardiste, demande toutefois aux membres réunis de nouveau de prendre une autre direction musicale. C'est-à-dire de conserver l’esprit «space rock» et expérimental mais de l'adapter pour un large public. D’ailleurs le filon commence à se tarir. Le groupe d’Edgar Froese ne cesse de proposer durant la période Pink des albums qui se ressemblent les uns des autres, des copiés collés où l’on joue la même note pendant plus de quinze minutes. Bref, un ambiant époustouflant au début qui lasse à la longue. «Green Desert» est donc mis de côté. Ce dernier verra tout de même le jour en 1986 remixé et sur un autre label.Pour l’heure il s’agit de se renouveler tout en gardant le cap et de satisfaire les envies de Virgin Record qui a misé gros sur ce groupe allemand. Par des concours de circonstances le pari sera tenu! Débute ainsi les années Virgin.
LES ANNÉES VIRGIN (1974 -1979)
Phaedra (Virgin, Allemagne, 1974)
En 1973, Tangerine Dream fait l’acquisition du synthé Moog 3P déjà présent dans «Zeit» mais appartenant à Florian Fricke de Popol Vuh (qu’il vendra plus tard à Klaus Schulze).Le Moog 3P en question a appartenu à Mick Jagger qui le trouvant trop complexe le revend au studio Hansa de Berlin. Sauf que personne dans ce studio ne comprend son fonctionnement. Alors on fait appel à un spécialiste. C’est Chris Franke qui s’y colle et à qui on demande: «Pensez-vous que nous pourrions faire des hits avec cet engin?». Après réflexion, Chris Franke s’empresse de répondre: «Franchement, laissez tomber!». Du coup et moyennant finance, le berlinois se voit l’heureux propriétaire de cette grosse machine qu’il trifouille, tente avec peine de comprendre. Cependant dans ce gros bordel un module l’intrigue, attise sa curiosité, le passionne: le séquenceur (analogique à l’époque).Cet outil, associé à un instrument, permet de programmer des notes et de les faire tourner indéfiniment. Une brèche vient de s’ouvrir. Autre heureuse découverte: le trio jouait, expérimentait sans savoir que tout cela était enregistré. Plus tard prenant connaissance des pistes nos amis teutons les exploitent en y ajoutant les séquences de la basse, du mellotron et de la flûte. Autre accident bien heureux: le Moog 3P se désaccorde en fonction même des températures variant avec le réchauffement interne de la machine. Tout est réuni pour pondre en 1974 ce cinquième disque prometteur appelé «Phaedra» tiré de Phèdre dans la mythologie grecque et qui signifie en grec ancien: lumière et c’est bien de ça dont il s’agit. Car pointent ici de nouveaux horizons pour la pop music. «Phaedra» est constitué de deux parties bien distinctes mais qui se suivent avec logique. La première qui occupe toute la face A avec le titre éponyme s’étire sur près de 17 minutes. Ici se confrontent deux conceptions (comme tout le reste de l’album). Tout d’abord ce qui a fait la force de Tangerine Dream jusqu'à présent: l’ambiant. Puis les séquençages, nouveaux et encore imprécis. Mais les deux vont devoir fusionner. Pas tout le temps, les allemands n’oseront pas abuser de la trouvaille. Le mariage se fait dans les dix premières minutes du morceau éponyme où le mellotron et autres effets électroniques d’Edgar Froese habillent les séquences hypnotiques au son basse de Chris Franke. Plus besoin de batterie ni de guitare, les boucles mélodiques suffisent à assurer le rythme. Si on sent un manque de maîtrise, si ça fait trop robotique ça reste tout de même fantastique et fascinant. De plus, Tangerine Dream nous plonge dans un voyage astral moins chaotique et angoissant que celui qui caractérisait les vinyles précédents. Certes, l’inquiétude demeure car on plonge dans l’inconnu mais la fascination persiste avec sérénité. En plus ça s’accélère. De toute façon, les six dernières minutes de la face A apportent comme une libération avec ces nappes de synthé et de mellotron qui se superposent. On entend la souffrance mais ça respire la vie.La face B, avec «Mysterious Semblance At The Stand Of Nightmares», c’est la suite des derniers instants de la pièce éponyme mais en plus paisible, en plus tranquille, en moins dramatique. Puis retour au séquences diaboliques un soupçon exotique dans «Movements Of Visionary» avant de finir avec «Sequent’ C» où la flûte de Peter Baumann se fait délicieusement vaporeuse. «Phaedra» ne fut pas ressenti comme un chef-d’œuvre à sa sortie. Nous sommes en 1974, il est à prendre pour ce qu’il est: une révolution musicale. Si le krautrock est considéré comme le chaînon manquant entre le prog et le punk qui mène vers la new wave, il va accoucher d’un de ses fils bâtards : la techno. Quant à nos trois allemands, après avoir expérimenté il va falloir concrétiser.
Rubycon (Virgin, Allemagne, 1975)
«Phaedra», plus expérimental qu'un chef-d’œuvre allait ouvrir bien des portes au trio germanique. Après avoir bidouillé il était temps pour Tangerine Dream de proposer au public un album plus cohérent et ainsi rassurer le patron de Virgin. «Rubycon» va répondre à la demande. Publié en 1975, cet opus se divise en deux pièces, une par face donc. La construction des deux parties est assez simple: pour la première une longue intro planante, suivie d'une accélération qui se termine par un court moment calme. Pour la seconde c'est l'inverse, une courte intro planante suivie d'une accélération qui se termine par un long moment calme. Si les musiciens semblent de mieux en mieux contrôler les machines, ils ont le souci de nous mener loin, très loin. Vers des univers inconnus, dans des coins reculés qui n'existent pas sur notre planète. Les débuts sont vaporeux, traversés de fleuves et d'océans troubles qui nous envoûtent où l'envie de résister n'existe pas. Puis lentement mais sûrement, vient le décollage pour un voyage spatial. Les choses s’accélèrent grâce aux séquences au son basse du moog modulaire 960 qui permet de jouer une suite de notes en boucle et de la modifier pendant qu'elle est jouée. Moment cosmique mais également tribal qui nous plonge dans une transe hypnotique. Un calme trompeur fait son apparition. Passage angoissant que l'on retrouve en face B. Instants dramatiques et puissants qui introduisent une nouvelle boucle traversée de passages fantomatiques. Arrive le final dans un décor de désolation et de mélancolie par cette flûte désenchantée. Excellent bain de jouvence neuro-cérébro-spinal, avec «Rubycon», venait pour Edgar Froese, Chris Franke et Peter Baumann la reconnaissance internationale.
Ricochet (Virgin, Allemagne, 1975)
En 1975 le trio Edgar Froese, Peter Baumann et Chris Franke se décide à partir en tournée en France et en Angleterre avec un passage mémorable dans la cathédrale de Reins dont le clergé local parle encore. Des 50 heures d’enregistrement live, le groupe retiendra les meilleurs moments captés à Bordeaux et à Londres pour réaliser «Ricochet». Il s’agit du premier album en public de Tangerine Dream. Ce disque dévoile une autre facette du trio germanique qui est la capacité d’improviser sur scène. Bien obligé, car de ville en ville, de salle de concert en salle de concert transformée en église cosmique, les musiciens devaient reprogrammer leurs synthés, mellotron et autres séquenceurs. Bref, un concert de Tangerine Dream n’était jamais le même et la complexité de l’équipement électronique rendait impossible de reproduire sur scène les titres réalisés en studio. Ainsi le spectateur vivait un moment unique, plongé dans une expérience électro. Nous sommes à un moment charnière. «Ricochet» va être un tournant dans la musique du «rêve mandarine» et définir le style pour les 40 années à venir. Si l’on retrouve les passages flûtés qui renvoient à «Phaedra» et «Rubycon», ce LP se montre plus rythmé, les pulsations sont plus régulières et les séquences ont des sonorités plus cristallines, plus claires, plus limpides. Tangerine Dream ne navigue plus en eau trouble pour un résultat moins expérimental en apparence mais plus commercial. En effet, «Ricochet» va être à la fois un succès permettant aux allemands d’obtenir une reconnaissance internationale mais également un chef-d’œuvre. Composé de deux pistes, «Ricochet» nous invite à un voyage spatial qui dépasse la vitesse de la lumière. Ça débute dans une ambiance sombre où un synthé étire quelques notes graves. Le tempo est lent, Edgar Froese avec sa guitare cisèle un solo acide et arabisant soutenu par la batterie de Chris Franke pendant que Peter Baumann improvise avec ses synthés et ses mellotron. Puis ça s’accélère. Les séquences sont magnifiques. Elles se croisent et s’entrechoquent admirablement. Elles s’habillent d’un mellotron céleste, d’une six cordes électrique stoner, de percussions convulsives et de claviers toujours arabisants. Dans la seconde partie, le trio s’emploie à fusionner un piano mélodieux, moment flûté et mellotron désenchanté. Quand sans prévenir, une boucle entêtante et intersidérale nous mène à l’autre bout de l’univers pour un trip technoïde et futuriste. Des sons industriels nous plongent dans la peur. Mais c’est de courte durée. Rapidement un mellotron nous réveille de ce cauchemar pour nous plonger de nouveau dans une transe galactique où les boucles montent en crescendos jusqu’à cet atterrissage en douceur à applaudir une constellation étoilée.
Stratosfear (Virgin, Allemagne, 1976)
Si «Ricochet» dévoilait un tournant dans la musique de Tangerine Dream, la folie et les effluves psychédéliques demeuraient. Ceux-ci vont disparaître dès «Stratosfear» publié en 1976. Le trio revient à des formats plus courts qui caractérisaient le premier LP , il y a de ça des années lumières (la plus longue piste dépasse à peine les onze minutes et la plus courte a moins de cinq minutes). Les titres sont plus standardisés, monolithiques en prenant soin d’éviter de partir dans tous les sens pour une approche plus directe. Les musiciens ont une plus grande maîtrise des appareils électroniques. Bien des fans regretteront ce virage. Mais les temps changent. Le monde est en pleine crise pétrolière et l’heure est à l’urgence. Le punk fait des ravages et le public se lasse des longs voyages space rock sous acide.Est-ce à dire que «Stratosfear» est mauvais? Loin de là, c’est bien le contraire. Fait de quatre pistes, le trio germanique s’emploie toujours à créer une messe cosmique via quelques effets électroniques. Fait de belles séquences hypnotiques, de passages vaguement inquiétants au mellotron, de subtils soli de six cordes électrique douce-amère, d’accords de guitare acoustique, de mélodies au piano, de moments flûtés et étranges mais également dramatiques, l’ensemble nous invite à un voyage planant et méditatif.Mais ce disque montre l’importance qu’a pu avoir Peter Baumann. Pour s’en convaincre il faut écouter son premier album solo, «Romance’76», publié l’année précédente. On y entend les mêmes sonorités, les mêmes rythmes. Certaines boucles et certaines lenteurs sont similaires. Une grande influence donc. Trop aux yeux d’Edgar Froese pour qui Tangerine Dream est son affaire. En effet, des tensions montent dans le trio, tout particulièrement entre un leader incontesté et un dernier venu. Chris Franke, la cheville ouvrière, ne peut que constater sans trop réagir (pour le moment). Divergences qui éclatent dans «3am At The Border Of The Marsh From Okefenokee», la pièce la plus progressive et la plus sombre où apparaît un harmonica. L’utilisation insolite de cet instrument s’explique du fait que le nouveau séquenceur de Peter Baumann tombait régulièrement en panne. Se rajoutent à cela des bandes remasterisées disparaissant et la console qui part en fumée. Excédé, Edgar Froese débarque au studio en jouant de l’harmonica pour dénoncer l’absurdité de la technique. Pris pour une blague, l’enregistrement sert d’intro et de conclusion à «3am At The Border…».Pour Peter Baumann, ce LP sent le départ. Mais ce dernier n’en à pas fini avec Tangerine Dream.
Sorcerer (MCA, Allemagne, 1977)
Voilà un album édité par un label, MCA, en plein milieu des années Virgin. En fait, il s’agit d’une BOF demandée à Tangerine Dream en marge de ses activités avec Virgin par le réalisateur de «L’Exorciste», William Friedkin pour son film «Sorcerer» («le Convoi De la Peur» pour la France et le Québec). Un remake du «Salaire de la Peur» d’Henry-Georges Clouzot où devaient défiler Steve McQueen, Lino Ventura et Marcello Mastroianni. Remplacés par Roy Scheider («Les Dents De La Mer»), Bruno Cremer, Francisco Rabal et Amidou, ce long métrage tournera au fiasco. Nous sommes en 1977, le film restera très peu de temps en salle écrasé par le succès de «Star Wars».Mais pour les musiciens allemands, c’est l’occasion d’aborder une nouvelle approche artistique. Eux qui avaient l’habitude de composer des titres élastiques, les voilà dans l’obligation de réaliser de courtes pièces. Le résultat va se montrer convainquant à l’inverse d’un film devenu culte par la suite. D’autant que le trio Edgar Froese, Chris Franke et Peter Baumann pond douze titres en ayant seulement lu le scénario. Chapeau! Car la musique va parfaitement coller à l’atmosphère sombre, angoissante, oppressante et lugubre des images comme le prouve le titre d’ouverture «Main Title». Loin des délires cosmiques des œuvres passées, la griffe du trio germanique est maintenue grâce au mellotron et aux séquences souvent entêtantes et pesantes avec en prime de beaux soli d’Edgar Froese à la guitare. Une chape de plomb maintient l’auditeur tout au long de ce LP avec quelques mélodies par endroit et des titres accrocheurs comme «The Journey», «Search», «The Mountain Road» mais surtout «Grind».«Sorcerer» (réédité en CD par Esoteric Recording) est le début d’une longue collaboration entre Tangerine Dream et le 7ème art.
Encore (Virgin, Allemagne, 1977)
Ce live n’aurait jamais dû voir le jour. Il est le fruit du départ de Peter Baumann de Tangerine Dream suite à des désaccords artistiques avec Edgar Froese. Le label Virgin, sentant que le groupe n’aura plus la même magie avant longtemps, s’empresse de sortir un double album en public capté durant la tournée nord-américaine de 1977, ultime témoignage du trio Edgar Froese, Chris Franke et Peter Baumann. Évidemment, la comparaison avec «Ricochet» est inévitable. Hélas cet «Encore» est loin de surpasser voire d’égaler la folie qui régnait dans «Ricochet». On peut aisément comprendre le départ de Peter Baumann enfermé dans un groupe qui semble tourner en rond et ayant atteint ses limites. Fait de quatre longues pistes d’une moyenne de 17 minutes, «Encore» offre de bons moments avec de belles idées mais le trio germanique est entré dans une routine où il est difficile d’en retenir grand-chose. Pourtant les ingrédients qui ont fait l’histoire du «rêve mandarine» sont bel et bien là: des boucles à couper le souffle, de magnifiques mélodies flûtés et désenchantés au mellotron et au piano, des passages sombres et atmosphériques de toute beauté mais également dramatiques, une six cordes électrique qui cisèle de beaux chorus, des pulsations qui nous mettent allégrement en état de transe. Mais la magie ne prend pas. Peut-être par son homogénéité et des séquences trop prévisibles. Ainsi défilent dans l’indifférence «Cherokee Lane», «Monolight», «Colwater Cayon» et «Desert Dream».Cet «Encore» vaut pour la dernière collaboration de Peter Baumann qui va s’empresser de reprendre une carrière solo débutée deux ans plus tôt avec «Romance’76». Edgar Froese et Chris Franke vont poursuivre le rêve dans un incessant changement de personnel. Pour beaucoup c'est la fin du Tangerine Dream emblématique.
Cyclone (Virgin, Allemagne, 1978)
Peter Baumann s’en est allé. Ce départ est le reflet d’un groupe en panne d’inspiration qui a atteint ses limites comme le montre l’indifférent «Encore». Alors Chris Franke mais surtout Edgar Froese réfléchissent, se questionnent, se cherchent. Quand vient l’idée de fusionner la musique électronique et le rock progressif. Certes, Tangerine Dream avec ses séquences space-rock est apparenté au prog mais pourquoi ne pas enfoncer le clou. Prenant exemple sur les albums standards de Yes, deux titres sur une face et un titre occupant toute une autre face, Tangerine Dream décide d’utiliser une batterie. Vous me répondrez que cela est déjà fait avec Chris Franke. Oui mais il ne s’agit plus de jouer à la Nick Mason dans «Saucerful» ou Klaus Schulze dans «Electronique Meditation» pour des improvisations bordéliques. Non, ici va s’adjoindre les services d’un batteur de rock avec Klaus Krieger. Débarque également le flûtiste et violoniste, Steve Jollife qui convainct Edgar Froese de chanter! C’est là qu’est atteinte la rupture avec l’ère Baumann.En effet, «Cyclone» est le premier album chanté de Tangerine Dream! Et le dernier pour un bon moment car le résultat n’est pas à la hauteur des espérances souhaitées. Le LP s’ouvre avec «Bent Cold Sidewalk» par un vocoder. Puis pilonnage de synthé avec batterie rock bien en place au tempo lourd quand débarque le chant! Il faut bien l’avouer, après avoir déliré dans les dérives sous acide de «Zeit» et les transes jouissives de «Ricochet», le coup est dur à encaisser. On touche le fond avec la piste suivante, «Rising Runner Missed By Endless Sender» qui dans l’ensemble n’apporte pas grand-chose même si elle fait new wawe avant l’heure. Steve Jollife est loin d’égaler Ian Anderson tout particulièrement dans les harmonies vocales. Tout cela oblige à occulter le reste qui offre pourtant de bons moments. Même dans le pont aérien de «Bent Cold Sidewalk» où la flûte de Steve Jollife dialogue avec le mellotron d’Edgar Froese parsemé d’un filet hypnotique et d’un solo de synthé. Mais la pièce de choix est bien évidement «Madrigal Meridian», instrumental lui, dépassant les vingt minutes. On est dans le Tangerine Dream classique où s’ajoutent un violon symphonique mais surtout une batterie entêtante qui nous plonge dans une frénésie quasi-incontrôlable. Une intro vaguement inquiétante et atmosphérique, des sonorités froides avec martèlements métalliques, des boucles hypnotiques comme sait si bien les programmer Chris Franke, des séquences futuristes, des vagues de synthé écrasantes et dramatiques, un super solo de guitare, un final désenchanté. Voilà les ingrédients d’un titre magnifique pour une fusion d’électronique et de prog réussi. Mais ce qu’il faut subir pour en arriver jusque-là! Tout comme «Hall Of The Mountain Grill» de Hawkwind et «Sabbath Bloody Sabbath» de Black Sabbath, «Cyclone» avait pour objectif d’initier un public acquis au prog. Il ne provoquera que rejet et incompréhension chez les fans. De l’aveu même d’Edgar Froese, ce 33-tours est une erreur dans la discographie de Tangerine Dream. Pour corriger le tir, on montre la porte de sortie à Steve Jollife à qui il est seulement reproché d’être
Force Majeure (Virgin, Allemagne, 1979)
Après les désillusions de «Cyclone», Edgar Froese et Chris Franke n’abandonnent pas la volonté de fusionner musique électronique et rock progressif. Mais sans le chant! Comment Edgar Froese s’est laissé entraîner par Steve Jollife à mettre du chant dans la musique de Tangerine Dream, groupe teuton connu pour ses délires instrumentaux?! Irrité, le leader indique la sortie à Steve Jollife. Par contre, convaincu par la réussite artistique de «Madrigal Meridian», l’instrumental épique de «Cyclone», Klaus Krieger est maintenu à la batterie. Ce dernier aura le loisir de mieux s’exprimer dans un jeu plus libre. Car il faut bien l’avouer, le batteur a été sous exploité dans «Cyclone». Se rajoute comme invité l’ingénieur du son, Edvar Meyer au violoncelle. L’ensemble va pondre en 1979 «Force Majeur» en trois actes: le premier dépassant les 19 minutes en face A, les deux suivants en face B. Les premières sonorités du titre éponyme sont des moments angoissants quand arrivent des thèmes planants et rêveurs inspirés de «Close To The Edge» et «Tales From Topographic Ocean» sur fond d’un synthé tenace. Mais rapidement, on comprend qu’Edgar Froese a pris les choses en main. Jamais la guitare, qu’elle soit électrique ou acoustique, n’a été autant exploitée. Le chef allemand se montre inspiré, ciselant des chorus éclatants, aériens et mélodiques. Les boucles programmées par Chris Franke ne sont là que pour accompagner l’esprit créatif d’un guitariste et compositeur en puissance. Pour s’en convaincre il faut écouter «Cloudburst Flight» où Edgar Froese fait exploser tout son talent. L’album se conclut par un «Thru Metamorphic Rocks» atmosphérique avec sa longue séquence entêtante à en perdre haleine, à la fois malsaine, pesante et hallucinatoire. Dans l’ensemble, «Force Majeure» est une réussite. Mais ce virage prog arrive un peu tard. Si Yes est ici référencé dans ce virage, en 1979 ce dernier prend une tout autre direction avec le lamentable «Tormato». A l’heure du punk et du disco, le rock progressif est devenu un genre moribond et pour les géants du genre la reconversion est difficile. Seul Pink Floyd réussi à tirer son épingle du jeu avec «The Wall», collant à cette fin désenchantée des seventies. À l’aube des années 80, Tangerine Dream se retrouve dans l’incertitude. Pourtant la recrue rapide d’un nouveau claviériste va être décisive pour aborder au mieux cette nouvelle décennie. Nouvelle décisive pour aborder au mieux cette nouvelle décennie.