Neither In Heaven

«Neither in Heaven» n’est que le deuxième album de Huis et, pourtant, il s’affirme comme l’œuvre de musiciens aguerris au sommet de leur art. Il contient tout ce qu’un album de rock progressif doit être… et plus encore. À 67 min 37 sec, c’est une réussite sans défaut, ni compromis. Rien de moins. En outre, c’est un authentique album de groupe: tous les membres – Sylvain Descôteaux (chant, claviers, piano), Michel St-Père (guitares, claviers), Michel Joncas (basse, pédales de basse, claviers), William Régnier (batterie, percussions) – ont écrit soit des paroles, soit des musiques, sauf Johnny Maz (claviers) qui s’est joint à Huis l’automne dernier.
Les chansons traitent de la perception altérée, la folie, la chute et l’espoir, l’art et la création, le mal, la danse et la vie, la mémoire et l’absence. Toutefois, malgré la gravité des thèmes et une certaine solennité dans le ton, la musique n’évoque pas le poids de quelque destin inéluctable. Il y a des épreuves, il y a la vie… et celle-ci ne va pas sans les autres. Sur ces bases, Huis construit son rêve: la musique permet de transcender les épreuves, d’en tirer beauté, passion et pardon. La pièce-titre (2:40) est une ouverture instrumentale: évocation d’un ailleurs intemporel, d’où jaillit un air de piano bientôt noyé sous quelques vagues de claviers célestes. «Synesthesia» (13:09), c’est du prog ambitieux et luxuriant qui allie mélodies et énergie, subtilité et passion, polyvalence vocale et richesse des textures musicales, changements de rythmes et transitions sans heurts: un modèle du genre. Autre instrumental, «Insane» (5:48) n’a rien d’un intermède: c’est du rock intense sans être débridé, avec de nombreux et rapides changements de tempo dans lesquels la basse assure la pulsation sur laquelle claviers et guitare tissent une tapisserie un peu échevelée. «Even Angels Sometimes Fall» (5:29) est une ballade, quasi une lamentation, en dépit du message d’espoir livré par les paroles; le rythme lent et ample sert d’écrin pour la voix de Descôteaux. St-Père l’ayant signée, on ne s’étonnera pas d’y déceler parfois l’ambiance de certaines chansons de Mystery. «Entering the Gallery» (3:41) s’ouvre sur un air de piano délicat, amusé, qui cède la place à un ton plus solennel; entre bruitages, musique de chambre et prog symphonique, la voix est un appel quasi désespéré, sinon tragique, à explorer l’imaginaire. Avec le titre suivant, «The Man on the Hill» (7:44), difficile de ne pas évoquer «The Fool on the Hill» des Beatles (1967); s’il y a quelques liens ténus dans les paroles, la musique est tout autre. Le personnage étant l’incarnation même du mal, le tempo est très «heavy», menaçant même, et ce qui s’érige autour est dense, strident par moments, mais avec quelques oasis de piano dans le dernier tiers de la chanson. S’il est une chanson où St-Père livre la mesure de son talent, c’est «The Red Gypsy» (6:26), qui décrit la magie d’une danseuse andalouse: guitare tantôt délicate et acoustique, à l’espagnole comme il se doit, tantôt brûlante et furieusement électrique. La voix de Descôteaux a même des inflexions méditerranéennes qui rehaussent la saveur de cette ode magnifique. Chanson-phare de l’album, «Memories» (8:43) est poignante – souvenirs du père «absent», perdu dans son monde, et sentiments ambivalents du fils –, dont la musique grandiose transcende la douleur pour lui insuffler une sérénité douce-amère. «I Held» (3:35) est la troisième pièce instrumentale et la plus dynamique de l’album: un mélange compact, très rock, mais marqué par quelques ruptures rythmiques offrant des plages à marée basse. «Nor on Earth» (11:42) est la seconde pièce épique de «Neither in Heaven». On a droit ici à du prog symphonique des hautes sphères: mélodique, planant, très texturé, chant nuancé – suave même –, multiples plans et registres musicaux, splendides passages incendiaires à la guitare. À mi-chemin, rupture de ton: évocation d’une sorte d’ailleurs hors du temps et de l’espace d’où surgit un tempo sec, puis la voix… et tout prend son essor vers un paysage majestueux qui déploie son relief en riches contrastes. Puis après un long silence, la finale s’amorce au piano comme une sorte d’épilogue intime auquel se joignent les claviers pour s’élancer vers des sommets encore plus célestes.
Comme le veut la tradition chez Unicorn Digital, pochette et livret sont d’une élégance raffinée. Les anges y tiennent évidemment la vedette, mais aussi les photos, montages et illustrations évoquent avec justesse et mystère l’atmosphère de chaque pièce. Bref, «Neither in Heaven» est exemplaire: musiques, paroles et images forment un tout impeccable.