Clock Unwound

Clock Unwound est le second album studio de Gentle Knife, groupe norvégien ayant débuté ses activités en 2014 et qui compte pas moins de 11 musiciens des deux sexes. Cet opus de 55 minutes 5 secondes se divise en six morceaux qui, à l’exception du premier, l’instrumental « Prelude : Incipit » (3:21), ont une durée variant de 7:25 à 15:58 ; en outre, c’est un album collectif, en ce sens que paroles et musique sont attribuées à tous les membres du groupe.
L’album se signale par quatre aspects particuliers.
1. La thématique lyrique – Dès la chanson-titre (que je traduirais librement par « L’Horloge au ressort déroulé », 15:58), le ton est donné : amertume, mélancolie, innocence perdue, déception, passé trahi, avenir condamné, bref le « doom-and-gloom » si souvent associé au rock progressif scandinave. D’ailleurs, les titres des chansons parlent de soi : « Fade Away » (7:25), « Smother » (8:49), « Plans Askew » (9:22) et « Resignation » (10:16). En toute cohérence avec l’atmosphère dominante, les voix (Håkon Kavli et Veronika Hørven Jensen) usent souvent d’un ton quasi monocorde et, dans la dernière pièce, « Resignation », il s’agit d’un récitatif plus que tout autre chose.
2. La nature hybridée de la musique – GENTLE KNIFE a un pied dans les années 1970 et l’autre dans le 21e siècle : il mêle combine le classique, le rock, la musique atonale, le jazz, un peu de pop et peut-être même des traditions folkloriques norvégiennes pour ce que j’en sais. C’est nettement symphonique par moments, alors qu’à d’autres on a droit à de la musique de chambre moderne. Mais aussi des passages très balancés, du rock volontiers heavy (avec une modération exemplaire), du jazz léger à la Mark & Almond ou Chuck Mangione, et du prog pop dans la veine de Kate Bush. Présenté ainsi, cela peut sembler aussi bizarre ou indigeste, mais c’est tout le contraire : on peut être surpris, voire un peu décontenancé au départ, mais il y a énormément de charme, d’intelligence, de complexité et de subtilité dans cette musique. En outre, il faut signaler que, si la musique souligne souvent l’atmosphère plutôt sombre, voire désespérée des paroles, il y a néanmoins nombre de passages énergiques, denses et enlevants.
3. Le choix des instruments – Bien sûr, il y a une batterie et des percussions, une basse, des claviers, synthétiseurs et échantillons de mellotron, trois guitares, mais aussi des flûtes (traversières et à bec), du chalumeau de cornemuse, des saxophones (alto, ténor, baryton), du flugelhorn, de la trompette et de l’alto !… Même si les instruments habituels sont généralement à l’avant-plan, c’est souvent aux instruments à vent (cuivre ou bois) qu’échoit d’ajouter les textures et la suavité caractéristique de Gentle Knife.
4. La production – Avec autant d’instruments aux tonalités et registres si différents – et qui ne jouent pas nécessairement à l’unisson –, le risque était grand de donner à entendre une sorte de mur sonore, voire même d’un orchestre de musique contemporaine sans direction. Or, une part de la beauté de l’album est issue de la prodigieuse qualité de sa production : même dans les passages les plus collectifs, on entend chaque instrument distinctement avec une clarté exemplaire. Il n’y a pas une seule note qui soit perdue dans l’enregistrement, peu importe l’instrument qui la joue… et c’est extrêmement rare dans un groupe aussi nombreux.
Clock Unwound présente un menu à la fois hybride et éclectique, expérimental (mais sans être rébarbatif) et mélodieux, qui s’aventure volontiers hors des sentiers battus, mais sans aller trop loin pour qu’on perde ses repères, et qui sait mettre toute la gomme quand c’est nécessaire. Bref, c’est un authentique album de rock « progressif » dans le sens le plus littéral du terme.