Delusion Rain

Delusion Rain est le sixième album studio de Mystery. Et pas besoin d’attendre la fin de cette critique pour conclure: je le trouve excellent! Comme l’étaient ses prédécesseurs (One Among the Living, 2010, et The World is a Game, 2012), c’est une œuvre de maturité assumée. Et je ne peux pas dire si Delusion Rain est supérieur ou égal aux deux autres, parce que le jeu des comparaisons est inutile: ce qui compte, c’est ce que l’album a à offrir… et c’est beaucoup.
Un peu plus d’une heure (61:46) répartie entre six chansons, la plus longue atteignant 19:30 (The Willow Tree) et la plus courte, 6:11 (If You See Her); il y a deux autres chansons longues (Delusion Rain, 10:04, et A Song for You, 12:35) et deux plus courtes (The Last Glass of Wine, 6:47, et Wall Street King, 6:39). Autrement dit, dans chaque cas, Michel St-Père et sa bande ont toujours les coudées franches pour développer et orner la musique, sans que le chant soit relégué pour autant sur la voie de service. Delusion Rain est un album équilibré. Bien sûr, avec Mystery, il ne faut pas s’attendre à explorer des continents musicaux inconnus. St-Père tient toujours la barre (guitariste, claviériste, parolier, compositeur, producteur) et, ce qu’il aime, c’est un rock progressif mélodique qui, même dans ses ruptures de tempo, n’est jamais abrupt (on est plutôt dans les «fondus enchaînés» que dans les virages à 180° avec la pédale au fond), ce qui n’empêche pas un son parfois lourd et appuyé. Les textures sont riches et superposées avec doigté, sans surcharge, même dans les passages les plus denses. Les musiciens sont les mêmes que sur l’album live double Tales from the Netherlands (2014): Benoît Dupuis (claviers), François Fournier (basse et claviers), Sylvain Moineau (guitares électriques et acoustique) et Jean-Sébastien Goyette (batterie), et deux invités, Antoine Michaud (guitares) et Sylvain Descôteaux (piano). Le nouveau, c’est Jean Pageau (chant, claviers et flûte) dont la voix possède un bon registre – quoique sans l’altitude elfique de son prédécesseur –, un timbre clair et une puissance indéniable. Bref, il a bel et bien sa place dans le groupe, à ceci près qu’il n’a pas composé de paroles comme le faisait Benoît David (qui a quitté Mystery à la fin de 2013 après la tournée de The World is a Game en Europe).
Delusion Rain a ceci de particulier que les guitares et les claviers ont un rôle quasi ex æquo. Ils sont sont quatre à toucher les claviers (piano inclus) et quatre à tenir les guitares (basse incluse). Dans la pratique, les guitares dominent (un peu), mais pas de chamaille ici pour se mettre en valeur les uns devant les autres: Mystery privilégie l’harmonie de l’ensemble… même quand St-Père exécute un solo fulgurant! La qualité technique est irréprochable, non seulement au niveau de l’enregistrement, mais aussi dans la conception graphique (pochette et livret). Comme c’est le même artiste, Leszek Bujnowski, qui était à l’œuvre dans The World is a Game, on peut noter que les couleurs de l’étrange carrousel sous la pluie ont disparu de Delusion Rain au profit d’un enfant incolore tenant des ballons aux teintes pastel dans un champ de blé mûr aux couleurs passées. Le travail du photographe illustre à merveille les thématiques abordées par St-Père: l’enfance s’estompe devant le monde qui n’est plus un jeu, mais plutôt un orage violent qui approche.
On n’est pas dans la veine du doom & gloom à la scandinave, mais il y a néanmoins une bonne dose de nostalgie et d’amertume dans les paroles de Michel St-Père… quoique sa musique nous élève comme les ballons dans la portion de ciel encore lumineuse.