L'Heptade XL

XL, c’est 40 en chiffres romains, pour souligner le 40e anniversaire de la parution de «L’Heptade» le 15 novembre 1976. XL, c’est aussi une abréviation d’excellence»… ce qui résume on ne peut mieux cette œuvre d’Harmonium. Enfin, XL signifie «extra large» en langage courant… et l’objet qui nous est offert tombe assurément dans la catégorie «taille forte» puiqu’il contient deux CD, un DVD, une chanson inédite et un généreux livret avec textes, articles de journaux et photos d’époque. Dans ce dernier, Louis Valois raconte notamment la genèse de «L’Heptade» d’origine et de cette version remixée et remasterisée de l’œuvre la plus accomplie d’Harmonium. Pour faire court, disons que, à la suite de la découverte des bandes originales qu’on croyait détruites par l’inondation de la voûte chez Sony en 1983, Fiori et Valois ont estimé qu’il valait le coup de retravailler l’enregistrement afin de «redonner au groupe et aux voix leur importance».
«L’Heptade XL» donne donc à entendre une version qui se trouve à mi-chemin entre l’album studio d’origine et l’enregistrement en concert de «Harmonium en Tournée» (1980), en ce sens que, en remixant les bandes originales de 1976, Fiori et Valois ont remis à l’avant-plan les voix et les instruments du groupe, lesquels avaient été relégués plus ou moins au second plan par la présence de l’orchestre dirigé par Neil Chotem (1920-2008) lors de la production finale de l’œuvre en studio, tandis que la version en concert n’avait enregistré que la prestation des sept membres d’Harmonium. On a ainsi droit à un enregistrement plus équilibré de «L’Heptade».
Sur les deux CD, le son est d’une limpidité exceptionnelle, faisant ressortir comme jamais les nuances mélodiques et la complexité des arrangements – tout autant instrumentaux que vocaux. Le DVD présente «Viens Voir le Paysage – Le film musical de l’Heptade», une réalisation illustrant 11 pièces de l’album. Il s’achève sur la performance en concert (1977) de «C’est dans le noir», chanson jamais endisquée qu’Harmonium interprétait en tournée pour apaiser l’auditoire surexcité et passablement «stoned» au début de ses concerts… ce qui rappellera sans doute des souvenirs à certains lecteurs/lectrices.
Sommet du savoir-faire d’Harmonium tant pour sa musique que ses textes, «L’Heptade» est néanmoins toujours reléguée derrière «Si on avait besoin d’une cinquième saison» (1975), tout autant par la critique que le public de l’époque… sinon d’aujourd’hui. Le sort fait à «L’Heptade», monument conceptuel s’il en est un, n’est pas sans rappeler l’accueil qu’on a réservé à d’autres œuvres qui incarnaient la quintessence musicale et lyrique de chacun des groupes qui les réalisèrent. Ainsi, quand Yes proposa «Tales from Topographic Oceans» (1973), une certaine critique musicale jugea l’album ostentatoire, trop ambitieux, démesuré (par rapport à «Close to the Edge», 1972)… ce que la presse anglophone résumait par l’adjectif «overindulgent», utilisé désormais à toutes les sauces pour descendre en flammes tout ce qui faisait œuvre nouvelle («pushing the envelope»).
De même, on éreinta «A Passion Play» (1973) de Jethro Tull, «The Lamb Lies Down on Broadway» (1974) de Genesis, «Red» (1974) de King Crimson, «Works» (1977) d’Emerson, Lake & Palmer et «The Wall» (1979) de Pink Floyd. Or, l’épreuve du temps – et le recul qu’elle impose – démontre combien «Tales from Topographic Oceans», «A Passion Play», «The Lamb Lies Down on Broadway», «Red», «Works» et «The Wall», en dépit de leur plus ou moins grande popularité par rapport à des albums antérieurs ou postérieurs, constituent des œuvres capitales et incontournables parce qu’elles donnent la mesure la plus fine de l’art de chacun de ces groupes.
Comme il en va des albums cités plus haut, «L’Heptade» d’Harmonium fait la preuve que la popularité n’est pas en soi le gage, non plus que l’unique critère d’excellence d’une œuvre musicale. Dans la version originale comme dans cette réédition, Fiori et son groupe ont créé un rock progressif symphonique exemplaire dans lequel s’opère la fusion sans point ni couture de la musique orchestrale classique et du rock… ce dernier étant plutôt «soft», avec des injections d’éléments folkloriques, de jazz bigband et de comédies musicales de Broadway.
On a longtemps cru que le monument conceptuel d’Harmonium était aussi son chant du cygne, puisque le groupe se dispersa à la fin de la tournée de «L’Heptade». Toutefois, la réussite du travail accompli par Fiori et Valois permet d’espérer de nouvelles collaborations entre les membres survivants d’Harmonium (le batteur Denis Farmer étant décédé en 1986): Monique Fauteux est la compagne de Valois, tandis que Serge Locat, Robert Stanley et Libert Subirana sont toujours actifs dans le monde musical.